Justice prédictive

L'informatisation et la recherche d'automatisation dans la Justice ne sont pas nouvelles, déjà en 1963 une avocat américain, Reed Lawlor, avait voulu utiliser l'outil informatique pour anticiper et déterminer la recevabilité d'un dossier. Au cours du XXème siècle le monde judiciaire a déjà cherché à créer des modéles mathématiques d'anticipation et de corrélations, ainsi les avocats américians cherchaient, bien avant l'engouement actuel pour l'Intelligence Artificielle, à développer des outils prédictifs [1].

Le deep learning (apprentissage automatique) et le traitement du langage naturel ont permis de franchir une nouvelle étape dans le développement de l'I.A., et la Justice cherchant à développer des outils prédictifs s'y intéresse de près. Ainsi, en 2016, des chercheurs d'Universités (Londres, Sheffield, Pennsylvanie) ont réussis "à élaboré un algorithme capable de deviner les décisions de justice en croisant les faits, les arguments des parties et le droit positif pertinent." [1].


L'I.A. et l'algorithme développé en 2016 obtient de bons résultats, en terme de performance, puisqu'il est capable de faire les mêmes choix qu'un juge humain dans huit cas sur dix. Mais ce type d'outil pose la question de l'évolution des professions du judiciaire qui irait non pas vers le remplacement des magistrats ou des avocats par des machines, "mais vers une association des magistrats et de ces machines « intelligentes », laquelle pourrait permettre des gains de temps et des économies de moyens considérables." [1].

L'évolution technologique est donc perçue comme une opportunité par le monde judiciaire. Le robot greffier ne devrait pas tarder à envahir les cours et tribunaux et : "C'est tout le service public de la justice que les nouvelles technologies de traitement de l'information invitent peut-être à repenser, à moderniser, mais non sans s'interroger quant à l'opportunité, aux bénéfices et aux risques de pareille modernisation technologique dont les conséquences seraient telles qu'elles amèneraient sans doute la justice à changer d'ère." [1].

Mais, bien que les technologies de traitement de l'information progressent, pour l'instant le remplacement des magistrats par des automates n'est pas encore d'actualité, néanmoins : "il serait peut-être temps de songer plus sérieusement à une justice davantage assistée par ordinateur, l'ordinateur ne servant plus seulement à enregistrer et stocker les informations, ainsi qu'à rédiger les documents grâce aux logiciels de traitement de texte, mais devenant une véritable aide à la prise de décision. Il fait peu de doute que l'enjeu n'est pas de choisir entre juges-robots et juges-humains mais de mettre les premiers au service des seconds." [1].



Les robots à l’assaut de la Justice – L’intelligence artificielle au service de la Justice Adrien VAN DEN BRANDEN – Bruylant – 2019

Un des avantages principaux, qui en vaut la critique d'une déshumanisation de la Justice, est qu'un juge algorithmique permettrait d'apporter plus de sécurité juridique et d'uniformiser les décisions de justice, mais également de permettre d'appliquer une politique judiciaire uniforme sur l'ensemble du territoire [1].

Mais cette uniformisation et automatisation de la Justice n'est pas sans poser problème, en effet : "La justice automatisée, peinant à prendre en considération les spécificités propres à chaque cas et à individualiser les décisions, pourrait difficilement ne pas déboucher sur des excès, sur une forme de totalitarisme potentiellement contraire à certains principes de l'État de droit. Dès lors, c'est bien la question d'une justice assistée par ordinateur qui mérite surtout d'être posée." [1].



[1] Barraud Boris, « Un algorithme capable de prédire les décisions des juges : vers une robotisation de la justice ? », Les Cahiers de la Justice, 2017/1 (N° 1), p. 121-139. DOI : 10.3917/cdlj.1701.0121. URL : https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2017-1-page-121.htm

I.A., une Charte

Le 27 septembre 2018 a eu lieu une conférence sur "L'intelligence artificielle au service du pouvoir judiciaire" à Riga (Lettonie) organisée par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) et l’Administration des tribunaux de Lettonie.

Cette conférence a nourrit les travaux qui ont menés à la rédaction de la Charte éthique européenne sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires [1].


La Charte éthique européenne sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires énonce des principes éthiques relatifs à l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans les systèmes judiciaires, ainsi : "La Charte fournit un cadre de principes destinés à guider les décideurs politiques, les juristes et professionnels de la justice dans la gestion du développement rapide de l’IA dans les processus judiciaires nationaux." [1].

L'I.A. est envisagée comme un moyen de contribuer à améliorer l’efficacité et la qualité du travail des tribunaux mais sa mise en œuvre doit : "se faire de manière responsable en conformité avec les droits fondamentaux garantis notamment par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des données à caractère personnel." [1].

La CEPEJ identifie comme principes essentiels à respecter en matière d’IA dans la justice [1] :

  • "principe de respect des droits fondamentaux : assurer une conception et une mise en œuvre des outils et des services d’intelligence artificielle qui soient compatibles avec les droits fondamentaux ;
  • principe de non-discrimination ; 
  • prévenir spécifiquement la création ou le renforcement de discriminations entre individus ou groupes d’individus ;
  •  principe de qualité et sécurité : en ce qui concerne le traitement des décisions juridictionnelles et des données judiciaires, utiliser des sources certifiées et des données intangibles avec des modèles conçus d’une manière multi disciplinaire, dans un environnement technologique sécurisé ;
  • principe de transparence, neutralité et intégrité intellectuelle : rendre accessibles et compréhensibles les méthodologies de traitement des données, autorisant les audits externes ;
  • principe de maîtrise par l’utilisateur : bannir une approche prescriptive et permettre à l’usager d’être un acteur éclairé et maître de ses choix."

 Lien vers la charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires

[1] Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), "Justice du futur: justice prédictive et intelligence artificielle", Conseil de l'Europe, https://www.coe.int/fr/web/cepej/justice-of-the-future-predictive-justice-and-artificial-intelligence


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