Libération ?

La révolution cybernétique qui arrive, avec la robotisation et l'Intelligence Artificielle, va-t-elle n'être qu'une nouvelle forme d'asservissement à la machine, un techno-féodalisme ?

Pour Yuval Noah Harari, une nouvelle classe sociale pourrait apparaitre, une classe non laborieuse : "des gens sans aucune valeur économique, politique ou artistique, qui ne contribuent en rien à la prospérité, à la puissance et au rayonnement de la société.". (Yuval Noah Harari, in [1]).

Le travail va-t-il disparaître et nous permettre de vivre dans une société sans travail, ou allons-nous vers une société totalitaire comme nous le laisse suggérer la Chine avec ses notations sociales et systèmes généralisés de surveillance ? 

Partant d'une hypothèse de non remplacement ou non création d'emplois nouveaux, se pose alors la question de comment allons-nous subsister ? Certains imaginent la création du revenu universelle ou un revenu qui ne dépend plus de l'emploi mais qui pose des questions éthiques. Sera-t-il du volontariat productiviste, si il complète un salaire qui ne risque plus que d'être symbolique à la longue, autrement dit 100% de profit patronal pour 0% de salaire ? Bref, l'instauration de l'esclavagisme indolore !

On verra poindre alors un véritable fossé entre les riches et les sans emploi dans un sénario de sécessionnisme des classes sociales, en effet selon Alain Véronèse  : "La croissance des inégalités – déjà fort accélérée depuis l’envahissement de l’idéologie libérale-capitaliste – risque fort d’atteindre des sommets, les hyper-riches faisant sécession." [1].

Les riches, comme on peut déjà l'observer actuellement, se ghettoïseraient encore plus dans des enclaves protégées et quasi militarisées, et selon Alain Véronèse : "L’on observerait alors la résurgence d’une sorte de techno-féodalisme protégée par des murailles high-tech."  [1].

Pour éviter d'en arriver à ce genre de scénario digne d'un film Hollywoodien, il nous faudra reconsidérer la répartition des richesses, qui pourrait aller jusqu'à une renationalisation des usines "autonomes", dans laquelle selon Alain Véronèse : "Une expropriation des propriétaires des machines (les usines sans main d’œuvre ou quasiment), totale ou partielle peut s’avérer nécessaire"  [1].

Une autre piste pour éviter une paupérisation massive du fait de la perte d'emploi est d'instaurer des mesures de taxation sur les robots, ou encore un système d'impôt négatif : "sous un certain seuil de revenu est versé par l’État une somme complémentaire".  [1].


[1] Alain Véronèse, "La production cybernétique : un nouveau techno-féodalisme, ou la civilisation du temps libéré ?", Blog de Guy Valette, 7/12/2017, https://guyvaletteparis.wordpress.com/2017/12/07/la-production-cybernetique-un-nouveau-techno-feodalisme-ou-la-civilisation-du-temps-libere/


Fin de l'emploi ?

Avec la robotisation, nous avons déjà connu une première phase de substitution des hommes par les machines. Un des meilleurs exemple est l'industrie automobile dans laquelle actuellement une grande partie, si pas la totalité, du personnel a été remplacé par des robots.

Avec l'arrivée de l'intelligence artificielle et les robots multifonctions qui peuvent changer de poste de travail après une bref reprogrammation, on peut craindre que la plupart des emplois actuels soient substituables à moyen ou long terme.

Ce posera alors la question de savoir comment faire fonctionner une société de la consommation sans travail ?



L’intelligence artificielle va-t-elle détruire des emplois ? - France Culture


Plusieurs solutions sont possibles pour entrevoir cette évolution et redéfinir le travail.

Soit on travail juste pour préserver une forme d'organisation sociale comme le suggère Daniel Kaplan : "Une première solution serait de continuer à travailler, même si cela ne sert plus à rien, ne serait-que pour préserver un certain ordre social (...)" [1].

Ou encore, on redonne du sens au travail : "comme une forme d’expression, de réalisation de soi par le biais d’une forme de production, pas nécessairement marchande, voire de liberté par rapport à la consommation (...)" [1] au moyen d'une rente par exemple.

Peut-être aussi envisager le travail comme oeuvre collective : "Le travail est par essence une activité sociale, tant dans son déroulement que dans son résultat." [1]. Le travail deviendrait une actvité collective qui aurait pour finalité de faire autre chose que de se divertir dans un société du loisir, et serait une création collective enrichissante et instructive pour les travailleurs.

Ou un travail "musée" qui sert à transmettre les savoir-faire et les techniques d'antant : "l’informaticien et penseur de l’économie Steve Randy Waldmann suggère qu'à l'heure de la robotisation, la fonction du travail pourrait consister, d’une part, à garder en vie les savoir-faire et même les systèmes productifs du passé et d’autre part, à inventer le plus grand nombre de choses possibles, indépendamment de leur utilité immédiate." [1].

Sinon, il nous restera la possibilité de ne rien faire du tout : "accepter l’oisiveté au nom de la contemplation, de l’amélioration de soi et de la philosophie (...)" [1].

Les futurs possibles concernant le travail et son sens sont donc variés, mais : "la disparition éventuelle du travail n’est peut-être un problème que dans un monde où la majorité des activités humaines s’inscrit dans un contexte marchand, justifiant dès lors un calcul coût-avantage qui tournera souvent à l’avantage de la machine.". [1].

La conception même de la notion d'emploi, de travail, de métier va évoluer et par là même les liens : "[les liens] entre activité, temps et revenu, entre développement personnel et position sociale, entre débrouille et solidarité." [1].


[1] Daniel Kaplan, "Et si l'on se débarrassait une fois pour toutes de l'emploi ?", Usbek & Rica, Série Boulofictions, 21/04/2018, https://usbeketrica.com/article/et-si-on-se-debarrassait-une-fois-pour-toutes-de-l-emploi


Anti-Transhumanisme

Le discours qui domine l'arrivée de l'I.A., que ce soit celui d'Elon Musk ou encore de Laurent Alexandre, est que : "nous devons nous augmenter pour rester compétitifs face aux machines et à l’intelligence artificielle (qui progressent très rapidement), sous peine de nous retrouver « largués »." [1].

Il se dégage donc un conscensus dominant autour de l'idée d'une révolution numérique qui semble plus apocalyptique que libératrice, dans un paradigme économique basé sur le travail, par lequel la nécessité quasi vitale des humains à travailler et être compétitif nous conduit à devoir ratrapper "la machine" grâce à l'augmentation humaine par le transhumanisme.

Pour Alexandre, porte-parole et vice-président de l'Association Française Transhumaniste, nous sommes face à un aveu : "L’aveu que nous sommes impuissants à repenser notre modèle économique, pour faire en sorte que l’automatisation bénéficie à la société dans son ensemble (comme cela devrait normalement être le cas)." [1].

Nous voilà donc obligés de nous augmenter pour rester compétitif, or selon Alexandre : "il s’agirait ici d’un transhumanisme mené par le « fusil sur la tempe » de la contrainte économique – et pas d’un transhumanisme guidé par ce que nous, humains, désirons." [1].

Un autre reproche au tranhumanisme est qu'il va aggraver les inégalités : "alors que cela ne serait que la conséquence des inégalités économiques déjà existantes." [1].

Et Alexandre de rappeler que nous sommes encore en démocratie, et que c'est à nous de construire la société numérique et technologique qui vient : "Aujourd’hui, nous disposons encore d’un outil démocratique qui nous permet de faire pression sur les choix politiques. Utilisons-le pour exiger que l’automatisation bénéficie à la société dans son ensemble, plutôt que de nous lancer dans une compétition absurde et mortifère avec nos propres créations. Pensons hors de la boîte !" [1].




Laurent Alexandre : l'eugénisme et l'intelligence artificielle forte sont à notre porte ! - Regards Connectés


[1] Alexandre, "Critique de l'augmentation compétitive", Association Française Transhumaniste - Technoprog, 23/02/2017, https://transhumanistes.com/critique-de-laugmentation-competitive/


Revenu de base, impôt négatif

La société basée sur le travail va évoluer, et le travail ne sera peut-être plus la norme mais l'exception. Comment donner à chacun les moyens de vivre dans une société dans laquelle on ne peut plus "gagner sa vie" par son activité salariale ?

Deux possibilités sont déjà envisagées et testées, à savoir le revenu de base universel et l'impôt négatif.

Le revenu de base universel pour tous est une forme de ressource financière qui ne dépendrait plus du fait d'avoir ou non une activité professionnelle. Ce système serait sensé libérer la travailleur de son obligation de travailleur si il le désire et, par la diminution du nombre de personnes désireuses de travailler, être un levier pour l'amélioration des salaires les plus bas.

Mais une telle mesure est peut-être un peu précipitée du fait de la réalité économique actuelle qui est que l'occupation professionnelle reste très majoritaire au sein de la population, avec plus de 80% d'actifs, et qu'un basculement vers ce type de mesure n'aurait pas vraiment d'utilité actuellement.

Une forme de chômage inconditionnel (sans obligation de rechercher un emploi et à durée indéterminée) avec la possibilité de démissionner volontairement sans sanction financière peut être plus adapté dans l'état actuelle de la réalité économique qui est que les entreprises ne vont pas subitement devenir "full automatisées" ou "full I.A." du jour au lendemain. La transition devrait se faire progressivement.

La solution de l'impôt négatif sur le revenu, dans une société dans laquelle la plupart des gens continuent à travailler, se présente comme : "un système d'impôt unique qui consiste en l’allocation à tout individu d’un montant fixe par l’État, un « impôt négatif », couplé à « impôt positif normal, progressif » à partir d’un certain niveau de revenu." [1].

Nous devrions donc connaitre avec l'avènement de la révolution numérique une transition, voir une révolution, salariale.

Lorsque les emplois peu qualifiés mais trop couteux à automatiser seront remplacés eux aussi par de l'informatisation et de la robotisation : "Il ne restera donc que les emplois nécessitant créativité et capacité à collaborer avec des intelligences artificielles, aptitude qui sera alors très certainement vue comme positive et donc recherché comme outil de valorisation sociale." [2].

A partir de cette nouvelle configuration du monde du travail dans laquelle celui-ci devient l'exception et non plus la règle : "se limiter au seul impôt négatif sera plus toxique que de réfléchir à la mise en place d’un revenu de base universel." [2].

En fonction de la brutalité de ce changement de paradigme du monde du travail : "si rien n’est fait ces sociétés seront bien plus inégalitaires que ce que nous avons connu jusqu’à aujourd’hui. Et les sociétés économiquement très polarisées sont des sociétés généralement instables et dangereuses." [2].


[1] Wikipédia, "Impôt négatif sur le revenu", https://fr.wikipedia.org/wiki/Impôt_négatif_sur_le_revenu
[2] Cyril Gazengel, "La lente évaporation du travail : Quel avenir pour le travail ?", Association Française Transhumaniste - Technoprog, 18/12/2016  ,https://transhumanistes.com/la-lente-evaporation-du-travail/


Sécurité sociale

Actuellement, le système belge de sécurité sociale est financé presque qu’exclusivement par l'impôt et les cotisations (patronales et salariales) sur le travail, ce qui ne serait plus tenable à terme.

Cet état de fait pose le problème du financement de la sécurité sociale qui avec l'arrivée des robots : "nous oblige à repenser le financement de la sécurité sociale surtout si le solde de destruction d’emplois, de transformations et de créations est négatif (...). Il faudrait alors introduire au niveau européen une taxe sur la valeur ajoutée produite par les robots pour maintenir le financement du système." [1].


[1] Antoine BERTRAND, "Émergence de l’intelligence artificielle - Quels défis et opportunités pour les PME bruxelloises et wallonnes ?", UCM, Service d’études d’UCM National, 2017, https://www.ucm.be/content/download/183180/3681845/file/ucm-etude-intelligence-artificielle.pdf




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